top of page

LA CHAINE

Acceuil

souvenirs meurtriers

–C’est l’heure, apprit le gardien en s’adressant au prisonnier.

D’ailleurs, à présent, il n’était plus prisonnier. Il était comme mort. Il allait payer pour ses crimes.

En Amérique, la peine de mort prend forme d’une chaise. Une chaise quelque peu moderne, mais une chaise quand même. Il existe d’autres formes de chaises : la chaise en bois, la chaise en paille, la chaise en fer… Mais parmi toutes, cette chaise là était la seule qui offrait sans effort une chose tant redoutée, et pourtant si attendue : le repos éternel.

En sortant de sa cellule, il se trouvait que Ben souriait : il se souvenait soudain des paroles du prisonnier d’à côté, qui l’avaient bien fait rire.

Ben avait beau dire qu’il était innocent, personne ne le croyait. Pourtant c’était vrai. Il était innocent. Tout en marchant vers la mort, ses souvenirs ténébreux l’envahirent…

 

–Je ne pensais pas avoir un nouveau voisin de geôle si tôt… annonça Patrick.

–Toi, on te demande juste de la boucler, dit le gardien.

Le nouveau était de taille moyenne, il portait des lunettes, et n’avait pas eu le temps de se raser : on l’avait sûrement tiré du lit. Du haut de ses 75 ans, Patrick se demandait comment il avait pu se retrouver là. Erreur ou non ? Coupable ou innocent ?

–Comment tu t’appelles mon p’tit gars ?

Après une courte hésitation, il répondit : Ben.

–Eh ! Gardien ! Qu’est-ce qu’il a fait, ce jeunot, pour être ici ?

–Il a tué un gars, à ce que je sais. Plusieurs coups violents avec une chaise.

–Quelle horreur ! La chaise n’est pas cassée ?

Le gardien ne put s’empêcher de sourire lui aussi.

–Profite bien de ton nouveau camarade, Patrick : demain, il finira grillé sur la chaise.

Alors qu’il s’en allait, le vieil homme essaya de mettre un peu plus d’ambiance dans cette atmosphère d’enterrement.

–Bah…! Dis-toi que tout a commencé avec une chaise,  et tout finira avec une chaise.

Ben sourit, ricana, et soudain fut emporté par un fou rire mêlé de pleurs. Pleurs dues au rire ou à sa mort prochaine ? Cela resta un mystère.

Le lendemain, la porte de la cellule de Ben s’ouvrit.

–C’est l’heure, apprit le gardien en s’adressant au prisonnier.

 

« Tout a commencé avec une chaise, et tout finira avec une chaise. »

À première vue, ce n’était pas si drôle. C’était même assez sombre, comme phrase.

Pourtant elle l’avait fait rire, et elle le faisait encore sourire, à quelques minutes de sa mort.

 

Quand Ben rentra chez lui, il était minuit. Il était furieux : son client ne l’avait pas encore payé. Demain, il ira le voir pour le tirer par les oreilles, et au sens propre.

Il s’écroula sur son lit. Il ne se déshabilla même pas. Il s’endormit comme une marmotte au moment de son hibernation, c’est-à-dire assez rapidement. Cette nuit, il rêva. Un simple éclair, dans le lointain, traversait les nuages. Puis il y en eu d’autres, et encore d’autres, de plus en plus proches. Bientôt, il ne vit plus que les éclairs, rien autour.

Il fut réveillé violemment. Des policiers armés partout dans sa chambre. Ils le transportèrent dans un fourgon pour l’emmener en prison. Une fois à l’intérieur, il passa devant une bonne cinquantaine de cellules, quand soudain le gardien qui l’accompagnait s’arrêta. Il ouvrit une cellule juste à côté d’un vieil homme. Qu’avait-il fait pour finir là ?

–Je ne pensais pas avoir un nouveau voisin de geôle si tôt… annonça Patrick.

–Toi, on te demande juste de la boucler, dit le gardien.

 

Ils l’avaient emmené sans explication, sans tribunal, sans procès… Il fallait avoir de l’influence pour rendre ça possible. Qui ? La CIA ? Tout ça pour quoi ?

Pour quelqu’un d’innocent ?

 

–Je vois que vous avez fait un bon travail…

–Ils sont déjà au courant ?

–On dirait. Je vais donc vous payer. Quels sont vos tarifs ?

–650 $.

–Bien, M. Ben. Je vous payerai aujourd’hui. L’argent ira directement sur votre compte. Au revoir.

–Au revoir, M. Gaillet.

Toute la journée, Ben se promena en ville, fit les boutiques… Il avait fait une bonne affaire en un temps réduit. D’autres clients ne tarderont pas à arriver. En général, il faut attendre 4 jours.

À 18h, il passa à la banque. Personne n’avait déposé d’argent. Il revint à 19h, 20h, 21h, 22h… Puis la banque ferma. Il alla dans un café et prit un annuaire. Après quelques recherches, il trouva l’adresse de son client. Il resta un peu boire 2 ou 3 verres.

Quand Ben rentra chez lui, il était deux heures du matin. Il était furieux : son client ne l’avait pas encore payé. Demain, il ira le voir pour le tirer par les oreilles, et au sens propre.

 

Ben s’arrêta soudainement.

–Je suis innocent.

–Ce n’est pas mon affaire, répondit le gardien.

–Ils ne m’ont laissé  aucune chance de…

–Avance.

 

Ben avait accompli sa mission, une fois de plus. Il l’avait trouvé, et fait ce qu’il fallait. Son client allait être content.

–Et 3 qui font 8, fois 16… Qui fait au total 650.

650 $. Bonne affaire.

On toqua.

–Entrez.

M. Gaillet entra, journal à la main.

–Je vois que vous avez fait un bon travail…

 

Ça y est. Dix pas de plus, et il n’avait plus aucune chance. Il pouvait essayer de fuir. De toute façon, il n’avait rien à perdre. Jusque là, il s’était tenu calme. On ne s’y attendrait pas.

 

Le train avait un quart d’heure de retard, mais Ben était satisfait. Le train gratuit ! C’était fabuleux. M. Gaillet sera content, lui aussi, d’avoir moins à payer. Deux heures plus tard, Ben était de retour chez lui. Soudain, quelque chose le frappa : on le suivait. Depuis son arrivée à la gare, une personne assez grande habillée en noir le suivait discrètement. Après quelques tournants, c’était quelqu’un d’autre qui le filait. Classique. Mais une fois devant chez lui… Personne. Avait-il rêvé ? Peut-être. Mais qu’importe.

Ben avait accompli sa mission, une fois de plus. Il l’avait trouvé, et fait ce qu’il fallait. Son client allait être content.

 

–Là ! Attrapez-le !

Et ils le rattrapèrent. Ben n’était pas très sportif.

–Tu sais, annonça l’un des gardiens, fuir, c’est admettre qu’on est coupable.

–Coupable ou non, qui accepte de mourir sans rien dire ? Je suis innocent, et vous le savez.

 

La chaise était en sang, et le crane de la victime aussi.

Il observa tous les coins de la pièce. Là ! Un bout de tissu. Ben le prit, ça pouvait être une pièce à conviction. Il chercha des empreintes, mais en vain. Le tueur n’en avait pas laissé.

Mais il savait qui était le coupable.

Un téléphone trônait sur le bureau. Il composa un numéro. Puis, après conversation, raccrocha. Il jeta un dernier coup d’œil sur le cadavre. Quelque chose dépassait de sa poche. Un billet de train ! Et la même destination que Ben ! Un miracle !

Il sortit. Le lendemain, il alla à la gare.

Le train avait un quart d’heure de retard, mais Ben était satisfait. Le train gratuit ! C’était fabuleux. M. Gaillet sera content, lui aussi, d’avoir moins à payer.

 

–Comment ça, nous le savons ?

–Bien sûr. Je n’ai pas tué William Gull. Le tueur, lui, est en liberté.

 

Ben sonna. Aucune réponse. Deuxième essai : rien. Avait-il fait tout ce chemin pour rien ?

Il se sentait observé. Mais il n’y avait personne, à première vue. Était-il absent ? Ou bien caché, un fusil à la main…

Ben sonna une dernière fois, et cette fois-ci, la porte s’ouvrit. Un homme châtain, barbu, grand et maigre apparu.

–Oui ?

Ben lui donna un coup de pied dans le ventre. Celui-ci fut projeté en arrière et tomba sur le sol. Ben sortit son pistolet et tira trois fois dans le ventre. William passa dans la pièce d’à côté. Pourtant, Ben était sûr d’avoir bien visé. Étrange…

Il le suivit jusque dans la cuisine. William tenait dans ses mains un fusil à pompe.

Bien que le tir ne l’atteint pas, Ben lâcha son arme. Il se dirigea vers la table et saisit une chaise. Le deuxième tir du fusil cassa un pied de chaise. Mais il n’y eu pas de troisième coup de feu : William Gull fut tué avant.

La chaise était en sang, et le crane de la victime aussi.

 

–Tu rigoles ? On a des vidéos ! Tu as été filmé, suivi ! Tu mérites de mourir !

–Mais je ne suis pas le meurtrier !

Ils étaient à l’entrée de la salle contenant la chaise mortelle.

 

On toqua à la porte de Ben.

–Entrez.

Un homme entra.

–Bonjour… J’ai entendu dire que vous pouviez régler certains… Problèmes.

–Si vous parlez de nettoyage, oui, c’est mon domaine.

–Bien. J’aimerais que vous… nettoyiez un certain William Gull.

–Mobile ?

–Ça ne vous regarde pas.

–Ok. Où se trouve-t-il ?

Le client lui passa une enveloppe.

–En campagne. Vous aurez tous les détails dans l’enveloppe. Je vous payerai votre moyen de transport aller et retour une fois la mission accomplie.

–Vous me devez 100 $ maintenant, monsieur…?

–Gaillet.

Ben ne tarda pas. La maison de M. Gull était facile à trouver en suivant le plan de M. Gaillet.

Ben sonna. Aucune réponse.

 

Ben s’assit sur la chaise. C’était la fin. Il y avait des spectateurs. Parmi eux, il put reconnaître M. Gaillet. Que faisait-il là ?

Il avait beau le répéter, personne ne croyait Ben : et il avait raison. Le coupable de l’assassinat de William Gull est M. Gaillet, pas lui. Si on prend un pistolet et qu’on tire sur une personne, qui est coupable ? Le pistolet ou le tueur ?

Mais quoi qu’il dise, il mourra. Personne ne comprend son point de vue. Il s’est lançé dans une carrière en solitaire car personne ne le comprend. Par exemple, à ce moment là, n’importe qui d’autre aurait dit “C’est lui ! M. Gaillet ! C’est lui l’assassin !” Ben, lui, se taisait. À quoi bon faire un autre mort ?

Le bourreau attacha le condamné solidement. Il assura que ce sera rapide et sans souffrance, mais Ben en doutait fortement.

–Une dernière parole, avant de mourir ?

–Oui.

Alors que toute la salle s’impatientait, il annonça :

–Tout a commencé avec une chaise, et tout finit avec une chaise.

Quand le bourreau appuya sur le bouton pour envoyer la décharge électrique, le sourire de Ben se rompit. Un moment, il essaya de se retenir de crier. Mais il finit par hurler. Puis il n’y eut plus aucun bruit. Le bourreau arrêta la machine et le cadavre fut transporté à la chambre froide.

Si Ben était encore en vie, comment aurait-il pu qualifier ce moment ?

Il aurait sans aucun doute dit : “Ça pique un peu.”

 

Dans le bureau de la CIA, il y avait une réunion très importante. Elle débuta dès que tout le monde fut réuni. Le chef appuya sur un bouton de télécommande et une photo s’afficha sur le mur.

–C’est un tueur à gage très dangereux nommé Ben.

Un agent le coupa :

–Ben ? Ben comment ?

–Ben. Personne ne connaît son nom. Cela fait des années qu’on essaye de le choper, sans succès, et nous n’avons pas assez de preuves contre lui, il ne laisse jamais de traces, il vérifie toujours qu’il n’a rien laissé avant de partir. Nous avons fini par arriver à la conclusion que la meilleure manière de l’avoir, c’est d’être son client.

–Vous voulez dire… Qu’on va lui demander de tuer un innocent ?

–Oui, mais l’innocent en question sera l’un de nous. Il portera un gilet pare-balle pour limiter les risques, et plusieurs armes seront cachées dans la maison. S’il n’est pas tué, nous ferons en sorte qu’il ne soit pas jugé et qu’il n’ait aucune chance de nous échapper à nouveau. Jones, tu fais la cible. Choisis ton nom.

–William Gull… J’ai toujours trouvé que ce nom avait de la gueule.

–Tss… Tu ne changeras jamais, dit le chef en souriant. Mike, tu fais le client. Tu veux t’appeler comment ?

–Je ne sais pas.

–Alors tu seras M. Gaillet.

–Eh ! Mais c’est nul comme nom ! Pourquoi t’as choisi ça ?

–Pour t’embêter. Allez les gars, au boulot !

Le lendemain, le faux client entra en scène.

On toqua à la porte de Ben.

​

Koopadus

bottom of page